L’AMIG a récemment conduit une enquête anonyme auprès des médecins travaillant aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), à l’aide d’une campagne d’affichage, afin de dresser un état des lieux objectif de leurs conditions de travail. Au total, 106 réponses ont été collectées, réparties entre médecins internes (n=71), chefs de clinique (CDC, n=28), adjoints (n=8) et stagiaires (n=3). L’analyse met en évidence des tendances préoccupantes, communes à plusieurs niveaux hiérarchiques : surcharge horaire, faible reconnaissance des heures supplémentaires, accès limité à la formation, atteinte à la santé mentale et exposition au harcèlement.
Des semaines à rallonge, loin des cadres légaux
La durée moyenne de travail hebdomadaire déclarée est de 55 heures chez les internes, 52 heures chez les chefs de clinique et 56 heures chez les adjoints. Les stagiaires, bien que peu nombreux, rapportent une moyenne de 45 heures.
Pour rappel :
- la durée contractuelle est de 50 h/sem. pour les internes
- 50 h/sem. pour les CDC sans titre de spécialité
- 40 h/sem. pour les CDC avec titre de spécialité.
Malgré cela, seuls 8 % des internes indiquent respecter toujours leur temps de travail contractuel. Ce taux tombe à 4 % chez les CDC.
Des heures en trop… mais invisibles
Les réponses révèlent une faible capacité à déclarer les heures supplémentaires effectuées :
- 33 % des internes et 18 % des CDC ne peuvent jamais les déclarer.
- Chez les adjoints, 38 % peuvent toujours les déclarer , mais 25 % n’ont jamais cette possibilité.
Un interne rapporte « On nous a clairement indiqué, sur le cahier de l’interne, que les heures supplémentaires ne sont pas tolérées. »
La situation est également contrastée en matière de compensation :
- Seuls 4 % des internes et 11 % des CDC déclarent que leurs heures supplémentaires sont toujours rémunérées ou récupérées.
- 40 % des internes et 25 % des CDC ne sont jamais compensés.
- Aucun des adjoints ne rapporte une compensation systématique.
« Les heures supplémentaires sont fréquentes […]. J’ai le sentiment que nous sommes beaucoup de médecin à être dans un état de burn-out ou « pré burn-out » permanent […]. »
– Anonyme
La formation continue : un droit souvent théorique
Le temps de formation hebdomadaire (5 heures), prévu contractuellement pour les internes, est rarement respecté :
- Seuls 11 % des internes en bénéficient toujours,
- 20 % n’y ont jamais accès.
Les CDC et les adjoints rapportent des difficultés similaires, suggérant une mise en œuvre inégale de cette obligation dans les services.
Planning tardif, repos écourté : une organisation à revoir
Une part importante des médecins signale un manque de visibilité sur leur planning : 24 % des internes et 18 % des CDC ne connaissent jamais leur planning à l’avance.
Quant à la récupération post-garde : 43 % des internes et 36 % des CDC estiment ne pas bénéficier d’un repos suffisant souvent ou toujours.
Moins de temps pour les soins, plus de tâches annexes
Seuls 27 % des internes déclarent passer souvent ou toujours suffisamment de temps avec les patient·e·s. 29 % disent ne jamais en avoir le temps.
Des réponses similaires sont observées chez les chefs de clinique.
Un équilibre psychique mis à mal
Les effets sur la santé mentale sont rapportés de façon inquiétante :
- 45 % des internes estiment que leur activité a un effet négatif sur leur santé mentale, souvent ou toujours.
- 41 % décrivent des signes de burn-out fréquents.
Chez les CDC :
- 43 % évoquent un impact négatif souvent,
- 39 % rapportent un burn-out fréquent.
Chez les adjoints :
- 100 % rapportent un impact négatif, dont 38 % souvent,
- 88 % présentent des signes de burn-out.
Les trois stagiaires ayant répondu confirment également cette tendance.
Médecins formés… mais en fuite
Les résultats soulignent une réflexion fréquente sur un changement d’orientation :
- 65 % des internes ont déjà envisagé de changer de spécialité,
- 78 % ont déjà songé à quitter la médecine.
Ces chiffres restent élevés chez les CDC (64 %) et les adjoints (50 %).
« Toutes ces années de travail pour en arriver là… carrière brisée… […] L’épuisement mental ne permet pas une quelconque réflexion personnelle sur un changement de profession. »
– Anonyme
Le harcèlement médical, encore trop fréquent
Les témoignages sur des expériences de harcèlement sont nombreux :
- 46 % des internes ont été victimes au moins une fois,
- 63 % en ont été témoins.
Chez les CDC :
- 46 % ont été victimes,
- 61 % témoins.
Parmi les adjoints, 75 % rapportent avoir été concernés (directement ou indirectement).
Un tiers des stagiaires ayant répondu a également signalé un cas de harcèlement
« On m’a dit : « Ton horaire est dicté par les besoins de l’institution. Si tu n’es pas content, tu peux quitter l’institution ». »
– Un-e adjoint-e
« Harcèlement moral : ceux qui prennent leur récupération sont pas efficaces !
Les enfants c’est pour les femmes. Pas de 80% pour les hommes. Téléphone et travail sur ordinateur en dehors des heures déclarées »
– Un-e adjoint-e
Adjoints & stagiaires : Des petits effectifs… des signaux clairs
Les résultats concernant les adjoints (n=8) et les stagiaires (n=3) doivent être lus avec prudence, en raison de la taille limitée de ces groupes. Cependant, le caractère homogène et préoccupant de leurs réponses renforce l’idée d’une problématique plus globale. Ces résultats s’inscrivent dans une tendance similaire à celle observée chez les internes et les chefs de clinique.
Conclusion : Un appel à l’action pour un changement structurel
Cette enquête met en évidence une situation globalement préoccupante pour les médecins des HUG, à tous les niveaux hiérarchiques. Les éléments rapportés interrogent la soutenabilité du système actuel en termes de charge de travail, de formation, de bien-être professionnel et de respect des droits.
L’un des défis actuels majeurs réside dans la nécessité de faire remonter des problématiques bien identifiées sur le terrain, mais qui peinent à être adressées rapidement. Les structures hospitalières, comme les HUG, évoluent dans un cadre complexe où les décisions nécessitent des validations multiples, des processus formels, et du temps.
Ce temps, cependant, n’est pas toujours aligné avec l’urgence vécue au quotidien par les équipes médicales. Entre surcharge chronique, fatigue accumulée et attentes en matière de reconnaissance, il devient parfois difficile pour les médecins de rester dans une position d’écoute et d’attente prolongée.
Loin d’une posture de confrontation, cette enquête souhaite au contraire nourrir un dialogue constructif, fondé sur des données concrètes, dans l’espoir que les mécanismes institutionnels puissent s’accélérer sur les sujets les plus urgents.
L’AMIG continuera, dans le respect du cadre institutionnel, à porter la voix de ses membres avec clarté, constance et loyauté.
Vous vous reconnaissez dans ces témoignages ? Vous connaissez quelqu’un concerné·e ?
Ne restez pas seul·e.
Contactez-nous dès maintenant – l’AMIG est là pour vous écouter, vous accompagner et vous défendre.
Ci-dessous, vous trouverez d’autres citations recueillies au cours de l’enquête, reproduites avec l’autorisation explicite de leurs auteur·e·s.
Elles illustrent, chacune à leur manière, les réalités vécues au quotidien par les médecins des HUG.
Les heures de travail supplémentaires peuvent être librement déclarées mais doivent être envoyées par mail avec en copie le chef du jour pour être validées.
j’ai de la peine à avouer mes heures sup parce que je sais à quel point je devrais réussir à finir les choses dans les temps mis à disposition et je crains que les chefs puissent juger mes compétences.
Pas de déclaration des heures supplémentaires (crainte de backslash qui a été expérimenté dans des hôpitaux en dehors de l hôpital cantonal : culpabilisation, dépréciation , heures supplémentaires non payée, menace de ne pas obtenir des ‘rotations’. Heures supplémentaires de toute façon non acceptées ou « lissées » si acceptée).
Planning de travail mensuel généralement obtenu quelques jours avant le début du mois . L’argument entendu des organisateurs du planning : nous , médecin, n’avons pas besoin de connaître notre planning plus en avance.
Infraction a la loi du travail (nombre d heure supplémentaire trop importantes, non respect de demande de vacances, 7 jours de travail consécutif de 10h ou plus de travail quotidien avec 1 jour de récupération)
Les centaines d’heures à faire du travail administratif derrière l’ordinateur ces 5 dernières années d’internat, m’ont empêché de progresser sur le plan clinique et médical comme j’aurais souhaité ou imaginé.
On reçoit les plannings tellement peu de temps en avance […] Aucun jour de récupération après les nuits […].
Chargé de travail importante avec multiples tâches en parallèle, supervision avec un cadre différent chaque jour, peu de teaching
Piquets de nuit et/ou de weekend fréquent […] mal payés […] avec des difficultés pour récupérer les heures […].
Travail de garde de vendredi matin à lundi soir 24/24 sans relais possible […] En gros, 11j/12 dont 84h de garde non-stop.
La maltraitance est quasi ubiquitaire, reconnue ou non comme telle par ses victimes
Harcèlement sexuel lors de mon stage aux HUG. Commentaires déplacés (sexuel, misogyne) lors de mon internat, par certains de mes supérieurs